Bonjour
1972 : contre-réforme et troisième chaîneCe sera la dernière année de la réforme de 1969 : une conjoncture de facteurs, pour la plupart politiques, vont amener à remettre en cause les unités autonomes d'information créées deux ans et demi plus tôt. Pourtant, l'année débutait avec une série de nouveautés dont l'une sera pour le moins avant-gardiste
Télé Midi 72 ou l'ancêtre de Nulle Part Ailleurs ?Du changement à la mi-journée sur la première chaîne avec un concept totalement nouveau mélangeant l'information et le divertissement.
Midi Magazine, l'émission de Danielle Gilbert, et le journal de 13 heures fusionnent dans une seule et même émission. Jean-Michel Desjeunes lâche la présentation du
Télé-Midi, confié en alternance à Jean Lanzi et Jean-Pierre Elkabbach. Dès 12h30,
Télé Midi 72 accueille des vedettes du spectacle, des écrivains pour un quart d'heure d'actualité culturelle et de divertissement. L'information arrive à 12h45 pour environ 15 à 18 minutes selon les jours, avant de revenir dans l'autre partie du plateau, aménagée en salon avec canapés. A 13h20, une nouvelle formule d'
Hebdo-Midi, la page magazine, complète le programme qui se termine vers 13h45 par un rappel des titres de l'actualité.
La formule dura cependant 2 mois seulement, du lundi 3 janvier au vendredi 4 mars 1972, avant de revenir à une séparation plus stricte entre information et variétés.
https://www.youtube.com/watch?v=YBlTm7NoeI4Il est tout de même difficile de ne pas rappeler que Philippe Gildas était à l'époque rédacteur en chef à
Information Première et qu'il avait déjà, à la radio sur RTL, développé la session du matin mélangeant informations et divertissements entre 6h et 9h. Les origines de
Nulle Part Ailleurs se retrouvent probablement dans cette émission éphémère.
Une feuille d'impôt et des reportages sur l'Algérie qui font valser un Premier MinistreRévélé par
Le Canard Enchaîné, l'affaire des impôts de Jacques Chaban-Delmas vient raviver les tensions au sein de la majorité politique : le Premier Ministre n'aurait pas payé d'impôts de 1967 à 1970 lorsqu'il était Président de l'Assemblée Nationale, par le truchement d'une faille dans la réglementation fiscale. Pour Matignon, le ministre des Finances, qui cache de moins en moins ses ambitions, est à la manoeuvre. Mais une partie de l'UDR critique de plus en plus clairement le Premier Ministre et surtout ne lui pardonne pas la réforme de l'information télévisée de 1969, considérée trop libre - authentique ! - et trop critique à l'égard de l'action du gouvernement.
La rédaction d'
Information Première va, bien malgré elle, en rajouter une couche : à l'occasion des 10 ans de l'indépendance de l'Algérie, trois émissions spéciales sont organisées en avril 1972. Le budget est disponible et le directeur n'a pas de compte à rendre puisque ces reportages sont financés par les économies réalisées au cours des deux années précédentes. Abordant un sujet encore extrêmement sensible dans l'opinion française, ces émissions diffusées à 20h30 vont provoquer un tollé dans la frange la plus radicale de l'UDR et parmi les nostalgiques de l'Algérie française.
Si on y ajoute une affaire de publicité clandestine à la télévision et de quelques vedettes faisant quelques "ménages", commence à mijoter un cocktail explosif qui aura pour conséquence le renvoi de Jacques Chaban-Delmas, remplacé par un autre gaulliste, Pierre Messmer. Instantanément, Pierre Desgraupes démissionne de son poste de directeur d'Information Première, avec dans son sillage l'ensemble de la direction de l'unité d'information et des principaux journalistes.
24 heures sur la deux devient 24 heures sur la unePremière décision du gouvernement Messmer : le rétablissement du ministère de l'Information pour recadrer la radio et surtout la télévision. Philippe Malaud convoque Jacqueline Baudrier, directrice de
24 heures sur la 2 et lui propose de prendre la direction de l'information sur la première chaîne, ce qu'elle refuse d'abord, arguant que les journalistes avaient été choisi par Desgraupes et qu'il n'y aurait pas la légitimité nécessaire. Réponse sans équivoque du ministre : "
vous n'avez pas compris : vous allez avec votre équipe sur la une".
L'été donne lieu à l'apparition de quelques nouvelles têtes à la présentation du journal, notamment Alexandre Baloud et Jacques Idier.
https://www.youtube.com/watch?v=__WoXtBDAd0Edition du 4 septembre 1972 avec Alexandre Baloud
https://www.youtube.com/watch?v=eE0mIFNAphIEdition du 5 septembre 1972 avec Jacques Idier
C'est ainsi que le 10 septembre 1972, Jean-Michel Desjeunes présente le dernier
Télé-Midi (pas de trace de
Télé-Soir) en faisant une étrange promotion pour le nouveau journal de la deuxième chaîne, INF2...
https://www.youtube.com/watch?v=AneKKklkARQDernier
Télé-Midi Le 11 septembre à 13 heures nait
24 heures sur la une, présenté par Jean-François Robinet, accompagné pour la première du directeur adjoint, Jacques Alexandre. Le soir, à 19h45, Jacqueline Baudrier et Jacques Alexandre concluent le journal présenté par Léon Zitrone.
https://www.youtube.com/watch?v=pAgqBFZTDh0Première édition de
24 heures sur la une à 13 heures.
https://www.ina.fr/video/CAF97072867/jacqueline-baudrier-et-jacques-alexandre-parlent-du-nouveau-journal-televise-video.htmlDéclaration de Jacqueline Baudrier et Jacques Alexandre à l'issue de la deuxième édition de
24 heures sur la une à 19h45.
C'est un fait unique dans l'histoire de la télévision, signe d'une époque où le contrôle par le gouvernement était encore fort et le public encore relativement crédule : on a inversé les deux rédactions télévisées pour des raisons de conformité à la ligne politique du gouvernement... et ça se sent dans les déclarations à l'antenne !
24 heures sur la une est essentiellement constituée des journalistes présents au côté de Jacqueline Baudrier depuis 1969. Bernard Volker sera un des rares transfuges, ainsi que l'équipe de journalistes de l'émission A Armes égales, qui resteront une année de plus à l'antenne. L'équipe perd la couleur mais gagne largement en audience.
A la présentation du journal, une alternance de visages chaque jour : Léon Zitrone évidemment, mais aussi Claude Brovelli, Claude Guillaumin, Bernard Volker, Jean-Pierre Berthet, Jean-François Robinet et André Sabas. S'y ajoutent notamment Patrice Duhamel, Alain Fernbach, Joseph Poli, Michel Péricard, Louis Bériot et Thierry de Scitivaux. L'équipe doit produire 3 éditions et les magazines hebdomadaires et mensuels de reportage.
La nouvelle rédaction de la seconde chaîneUne partie des journalistes d'
Information Première quitte l'ORTF. Philippe Gildas et Etienne Mougeotte sont recrutés par RTL pour les informations du matin avec slogan "
vous les avez vus à la télé, ils sont sur RTL". Ce sera la première d'une longue série qui se poursuit encore aujourd'hui. D'autres rejoindront la presse écrite, comme Hervé Chabalier rejoignant Le Nouvel Observateur.
Cependant, la plupart des journalistes se retrouve dans la nouvelle rédaction de la seconde chaîne :
INF2 est dirigée par Jean-Claude Héberlé. On y retrouve au journal de 20 heures des piliers d'
Information Première, à commencer par Jean-Michel Desjeunes, Jean-Pierre Elkabbach, Paul Lefèvre, mais aussi de nouvelles recrues : Daniel Bilalian, Gérard Holtz, Jean-Marie Cavada et Pierre Lescure, qui retrouve donc Desjeunes connu à la radio sur RTL (grâce à Philippe Gildas). Le journal de 20 heures est confié en alternance à Lescure, Desjeunes, Elkabbach et Cavada. Danielle Breem tient le service politique, accompagné par Jacques Idier. Le service Etranger, emmené par Jean-Pierre Elkabbach, est constitué de journalistes qu'on retrouvera encore pendant 20 ans sur Antenne 2, comme Pierre Serra, Gérard Sebag, Jacques Abouchar, mais aussi Gérard Holtz (eh oui !). France Roche tient le service culture et Pierre Lescure dirige celui baptisé Vie Moderne.
https://media.gettyimages.com/photos/journalists-and-tv-newscasters-philippe-harrouard-pierre-lavigne-picture-id600214023?s=612x612Debout : Philippe Harrouard, Pierre Lavigne, Gérard Holtz - Assis : Pierre Lescure, Paul Lefèvre et Jean-Michel Desjeunes
Avec la couleur, des journalistes assez jeunes, une mise en page du journal dynamique, une place importante consacrée à l'actualité internationale,
INF2 profite aussi de l'augmentation des ventes de téléviseurs couleurs et son audience rejoint celle de la première chaîne.
Jean-Pierre Elkabbach crée
Actuel 2, une émission hebdomadaire consacré à un sujet, un invité, abordé par différents reportages et sous le regard de 3 journalistes de presse écrite ou de la radio-télévision. Apparaît également le dimanche un journal à la mi-journée :
INF2 dimanche propose 15 minutes d'actualité et une série de reportages.
En revanche, on ne sait toujours ce que veut dire l'abréviation INF, et la symbolique des petits coquillages du générique reste mystérieuse... D'ailleurs, le premier indicatif d'I
NF2 avait un côté pour le moins angoissant, dans un style à la Pierre Henry...
https://www.youtube.com/watch?v=fFSiioGFeSEINF2 du 26 septembre 1972 présenté par Jean-Marie Cavada : à noter, la pendule-éphéméride en bas de l'écran et l'incrustation du nom du présentateur quelque peu bricolée...
Rodage encore à l'antenne car Cavada évoque
Télé-Nuit avec Alexandre Baloud, appellation disparue depuis 15 jours...
https://m.ina.fr/video/I09182064/generi ... video.htmlGénérique du premier Actuel 2
Et voici la troisième chaîneCadeau pour la fin d'année 1972, la troisième chaîne ouvre son antenne le 31 décembre 1972 et parachève la réforme de la télévision. Emettant en fin de journée, elle est axée sur le cinéma, le théâtre et les régions. Elle est aussi un laboratoire de nouveautés. Confiée à Jean-Louis Guillaud, fidèle à la ligne politique gaullo-pompidollienne et écartée pendant 3 ans de l'antenne, la chaîne en couleurs se dote d'un véritable habillage d'antenne, conçu par une dessinatrice : Catherine Chaillet. C3 mise également sur la valorisation des productions des différentes stations régionales de l'ORTF, tant sur les programmes, les feuilletons, que sur l'information. La rédaction est dirigée par Christian Bernadac : Inter 3 est composée de journalistes de France Inter, les bureaux sont d'ailleurs situés non pas à Cognacq-Jay mais à la maison ronde. Cette unité d'information permet de former des journalistes de radio à la télévision. Secondé par Claude Pierrard, les journaux sont diffusés à 18h30 et 21h30. A la présentation : Dominique Bromberger, Jean-Claude Bourret, Patrick Poivre d'Arvor, Michel Denisot et Patrick de Carolis.
https://www.youtube.com/watch?v=PAQeBl_z7lMPrésentation de la chaîne C3 par Jean Amadou et Maurice Horgues.
D'une réforme à l'autreEn un peu moins de 3 ans, la réforme de l'été 1969 a donc quand même desserré l'étau sur l'information télévisée et insufflé un nouveau ton : la création de 2 rédactions a créé une émulation pour différencier les programmes, y compris dans un exercice académique comme le journal télévisé où l'arrivée, à Information Première, de journalistes venant des postes périphériques, RTL et Europe 1 pour l'essentiel, a modernisé le style et le ton. L'esprit indépendant de Pierre Desgraupes lui aura finalement coûté sa place mais en renforçant son image dans le grand public, car l'inversion des rédactions à la rentrée de 1972 n'est pas passée inaperçue.
En dépit de la faiblesse des archives disponibles, il faut quand même mettre au crédit de
24 heures sur la 2 la volonté de tirer profit de la modernité incarnée par la couleur et d'accorder une place très importante à l'image et au reportage. On retiendra aussi la mise à l'antenne d'émissions comme
La France défigurée, créée en 1971, assez avant-gardiste dans la prise en compte des aspects environnementaux.
Toute politique soit-elle, la réforme de l'été 1972 a surtout eu pour conséquence d'équilibrer l'audience des deux chaînes, en profitant de l'équipement grandissant de la population en postes couleurs captant les deux chaînes, ce qui, en 1969, était encore très minoritaire (moins de 20% des récepteurs).
Enfin, cette période a vu émerger - ou a confirmé - de nouvelles figures de la télévision. Pierre Desgraupes a ainsi révélé Etienne Mougeotte, Philippe Gildas, Jerome Bellay, Jean-Pierre Guérin, Hervé Chabalier, Jean-Pierre Elkabbach, Jean Lanzi, qui tous auront par la suite un rôle important dans la télévision d'aujourd'hui. C'est moins le cas de l'équipe Baudrier de laquelle émergea surtout Patrice Duhamel, Jean-Pierre Berthet et Joseph Poli mais dans des rôles de second plan, sauf pour le premier.
A suivre...